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riji

14 juin 2020

Un beau vert

IMG_0187Pékin, le 14 Juin 2020

 

Il fait chaud aujourd'hui. Une journée idéale pour aller se rafraîchir dans les montagnes environnantes.

Tôt le matin, K demande dans son réseau wechat s'il y a des gens partants pour un dimanche à la campagne improvisé. Elle obtient zéro réponse.

En sortant promener mon chien, je découvre dans l'ascenseur de l'immeuble une nouvelle annonce du syndic. Celle-ci demande à tout résident ayant fréquenté dernièrement le marché XinFaDi de se signaler au comité du quartier.

Je n'avais jamais entendu parlé de ce marché auparavant. Devenu célèbre malgré lui en un jour, partout dans le pays, il est situé dans le district de Fengtai, au sud-ouest de Pékin, et semble être un grand marché alimentaire où vont s'approvisionner la plupart des restaurateurs de la ville, comme le marché de Rungis en France.

La Baidu Map montre que je suis à plus de 17 kilomètres du XinFaDi. C'est assez loin, et pourtant, je sens la tension qui monte dans mon quartier et ne tarderai pas à recevoir la visite d'une personne du syndic qui fait le porte à porte dans l'immeuble pour s'assurer que personne n'a été dans ce marché ces jours-ci.

Je vérifie immédiatement mon QR code après son départ. Il est d'un beau vert.

 

 

 

xxx

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14 juin 2020

Comme c'est beau!

IMG_0141

Pékin, le 13 Juin 2020

Toujours dans le groupe chat "Ne posez pas le verre/ Je vous offre du vin" :

 

- On peut se voir un peu plus tard? J'ai trop bu hier, très mal dormi...

- Pas de souci, de toute façon, je n'ai même pas pris ma douche...

- 13:00?

- Pas de souci. Prends ton temps.

- Sur les 1940 tests PCR pratiqués sur les professionels du marché ou en contact avec un travailleur du marché, 46 cas se sont révélés positifs...

- Portons tous un masque aujourd'hui!

- Obligé!

- Quelle poisse pour le secteur de la restauration!

- Plus personne dans les centres commerciaux ce matin!

- Il y a sûrement encore plus de gens qui ne savent pas encore qu'ils sont contaminés!

- Dépêchons-nous de nous revoir avant que ce ne soit plus possible à nouveau!

- Ce qui se passe, ça me rappelle ce qui s'est passé en janvier...

- Oh là là, non, non, non!

- Il faut commander des masques!

- Les amis, je décide de ne pas sortir aujourd'hui...

- Moi aussi...

- Il faut prendre le métro, c'est trop de risques...

- Attendons quelques jours... s'il n'y a pas d'augmentation du nombre de contaminés, alors on essaiera de se voir le week-end prochain...

- Oui, je respecte ton choix, ne t'inquiète pas.

- Oui, tout le monde est libre de son choix. Si cela vous inquiète, alors restez à la maison. Pas de souci.

- Moi perso, je sors, j'ai envie de vous voir.

- Oui, ne t'inquiète pas, si tu ne sors pas, on comprend tout à fait, on ne te virera pas de notre groupe chat, ah ah ah !

- Ah ah ah! Soyez prudents tous!

- Oui, soyons prudents et restons calmes! Pas de panique!

- J'étais sur le point de sortir, j'ai déjà pris ma douche!

- Moi je n'ai pas encore pris ma douche, ça va! Ah ah ah!

- Ça me rend triste tout ça!

- Je ne suis pas encore maquillée!

- Ne sois pas triste, ça va aller!

- Soyez prudents quand vous vous voyez OK? Et surtout quand vous mangez!

- J'espère qu'on pourra enfin se revoir le week-end prochain!

- J'espère que nous n'allons pas passer une année comme ça!

- Une année comme ça...

- Mais non, mais non...

 

...

 

- Ça y est, je suis arrivée.

- Attends, je suis en route, j'arrive dans dix minutes.

- Ne t'inquiète pas, je bronze dehors, je suis en terrasse, au soleil.

- Mais vous êtes où les amis? Je n'arrive pas à vous situer sur la carte GPS.

- Localise-toi, je vais te guider.

- Je suis dans un village...

- Mais tu t'es trompé de rue... L'entrée se trouve à côté de cette rue... ressors!

- Oh là là, mais c'est quoi cet endroit que vous avez trouvé! C'est même pas référencé sur la carte GPS.

- Tu vas voir, c'est beau!

- Viens vite, on est là, c'est beau!

- J'arrive, j'arrive.

- Les amis, je vous fais une photo de la vue devant moi, comme ça, c'est comme si vous êtiez avec nous...

- Ça y est. Je suis entré par le bon côté, j'arrive.

- Il fait beau là où vous êtes? Chez moi, le ciel est gris!

- Attends, je vous fais une photo, vous allez voir.

- Wow, c'est beau!

- Ah oui! Pas mal!

- J'aurais dû sortir et être avec vous!

- C'est vraiment beau!

- J'aimerais trop vous voir tous!

- C'est beau!

- C'est beau!

- J'ai passé sur internet une nouvelle commande de masques et de gel hydroalcoolique.

- Comme c'est beau!

 

 

xxx

14 juin 2020

L'ivresse

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Pékin, le 12 Juin 2020

 

W m'a donné rendez-vous ce soir dans son restaurant japonais préféré Jiule (L'ivresse) . C'est un restaurant immense, situé au coeur du quartier CBD de Pékin.

Une fois qu'on franchit le seuil de la porte, les serveuses en kimono nous guident vers des salons privés avec des tatamis, tous décorés dans un style zen épuré, avec une belle fenêtre arrondie donnant sur un jardin extérieur. Un dépaysement visuel et culinaire absolu.

Dès qu'il y a quelque chose d'important à fêter, W aime inviter ses amis à passer la soirée dans ce restaurant où tout le monde finit toujours par s'enivrer complètement avec du saké. Boire, boire beaucoup avec ses amis, c'est sa manière à elle de dire tout l'amour qu'elle porte pour eux.

Depuis le début de l'épidémie, W reste assez silencieuse. Elle n'est pas du genre à envoyer tout le temps des messages pour demander comment ça va. Si mes souvenirs sont exacts, elle m'a envoyé un message le jour de la fête des lanternes pour me dire de rester sagement à la maison; puis un message mi-Avril, au moment du déconfinement, pour m'inviter à sortir boire des verres. Mais à ce moment-là, je lui ai répondu que j'avais dû quitter Pékin pour ma grand mère... Elle sentait que j'étais inquièt mais ne s'étalait pas non plus dans les consolations. Elle m'avait alors juste répondu: "Ok, appelle-moi quand tu rentres."

Pour avoir travaillé avec W (elle est la productrice de mon dernier spectacle) et pour être son ami depuis deux ans, je sais bien que je ne finirais pas la soirée sans quelques litres de saké dans le sang. J'ai donc décidé de laisser ma voiture au garage et de rejoindre le restaurant en vélo.

C'est la première fois que je retourne dans le CBD depuis le début de l'épidémie. Sur le chemin, je remarque que la tour CITIC, qu'on appelle aussi la China Zun, la nouvelle tour la plus haute de Pékin est désormais terminée. 

A peine entrée dans le salon Richu (Aurore). W commande une grande bouteille de saké. A côté d'elle, DM qui vient de rentrer de Shanghai me raconte, toute excitée, le nouveau spectacle qu'elle est en train de répéter là-bas: le tout premier spectacle en répétitions après le déconfinement. W remplit le verre à ras bord et dit: arrête de parler et bois!

Nous portons un toast à la santé et à la vie et avons bu d'un trait le verre plein de saké!

"Ah! Enfin!" dit W, avec un grand sourire, toute contente et satisfaite.

A plusieurs moments du dîner, j'ai senti l'émotion de W. Mais à chaque fois, elle a réussi à se retenir, toujours fière et digne. Et à chaque fin de phrase de n'importe quel convive, elle lève le verre et invite tout le monde à boire cul sec.

Vers la fin du repas, W se met à nous parler sérieusement. Elle dit qu'elle voudrait qu'on retravaille vite. Elle dit qu'elle ne veut plus attendre, qu'elle en a marre d'attendre. "Attendre quoi?" dit-elle,"On ne sait pas ce que demain sera fait... On est en train de moisir...  il faut qu'on bouge, même si c'est vain. Au moins, on aura fait travailler nos corps et nos têtes, au moins on aura fait quelque chose ensemble." 

On se met alors à faire un planning, à faire la liste des gens qui pourraient nous rejoindre pour démarrer le travail, à penser aux thèmes du travail...

"Très bien, alors c'est décidé! Même si les théâtres ne sont pas encore ouverts, on a nos propres plateaux de répétitions, on a nos envies de travailler, on se lance! Il est temps!" conclut-elle par un cul sec.

Au même moment, dans mon groupe chat, LC reposte un communiqué officiel: Suite à des cas positifs confirmés du Covid-19, la ville entre à nouveau en état d'urgence sanitaire...

HB qui n'a pas parlé dans le groupe depuis un moment envoie une photo d'un petit chat tout effarouché et demande: "Mes chers frères et soeurs, ai-je raté quelque chose?"

"Nous nous voyons tous demain, tu viens?" demande LC.

"Oui! Je viens!" répond HB.

 

 

xxx

14 juin 2020

Masque!

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Pékin, le 11 Juin 2020

Dans le groupe chat "Ne posez pas le verre/ Je vous offre du vin", tard dans la nuit:

 

- Vous avez entendu la dernière nouvelle?

- Non...

- Quoi?

- Un nouveau cas confirmé à l'ouest de la ville. La personne n'a jamais quitté Pékin, aimant particulièrement les promenades!

- Euh... "aimant particulièrement les promenades"...

- Mes camarades, n'oubliez jamais de porter un masque!

- Qu'est ce que cela veut dire "aimant particulièrement les promenades"? Ah ah ah! Ça doit être une fake news!

- Non, info vérifiée. C'est déjà dans un communiqué officiel.

- Non!!!

- Son quartier est mis en quarantaine!

- Non!

- Non, pas en quarantaine, un contrôle renforcé des entrées et des sorties du quartier seulement...

- Quand même!

- Et on teste tous les résidents de son immeuble.

- Non!

- Masque les amis!

- Oui, masque.

- Masque...

- Masque!

 

 

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14 juin 2020

et nous bavarderons, jusque tard dans la nuit!

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Pékin, le 10 Juin 2020

Dans le groupe chat "Ne posez pas le verre/ Je vous offre du vin":

- Mes très chers camarades, maintenant que nous sommes tous rentrés à Pékin, revoyons-nous!

- Oui! Quand? Je peux Vendredi soir, Samedi toute la journée ou Dimanche pas tard.

- Moi Vendredi soir ou Samedi toute la journée...

- Pour moi tout est OK, vous choisissez!

- Super!

- Alors Vendredi?

- On va où?

- Où vous voulez! Ah ah ah!

- Vous choisissez, pour moi tout est OK. Le quartier du stade des ouvriers? La tour du tambour?

- Mes amis, je ne peux pas Vendredi soir... dîner de travail... Samedi toute à la journée?

- OK!

- OK!

- Pour moi tout est OK! Vous choisissez!

- OK! Samedi!

- Je suis là, je suis là, oui, oui, Samedi c'est OK!

- Alors, c'est vendu! Nous nous voyons Samedi!

- Cool!

- On va où?

- Où vous voulez, vous choisissez!

- Alors, quelque part où il y a du vert... en plein air!

- OK!

- OK!

- Trop cool!

- Oui, en plein air, ensemble on prendra du café, des pâtisseries, un apéro, puis on ira dîner... et nous bavarderons, jusque tard dans la nuit!

 

 

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22 mai 2020

Tout ce qu'on peut faire maintenant

IMG_9607Pékin, le 10 Février 2020

 

Il fait froid. Le chauffage collectif de l'immeuble marche mal. Mais impossible que le syndic fasse venir quelqu'un pour vérifier le bon fonctionnement des tuyaux. On ne laisse plus entrer personne de l'extérieur.

Même situation pour YH qui habite dans l'immeuble à côté.

Je devais être avec YH à Shanghai depuis deux jours. Nous étions impatients de nous y retrouver pour vivre et travailler ensemble, le temps de la création.

Mais aujourd'hui, nous sommes toujours à Pékin, à moins de 50 mètres l'un de l'autre, coincés dans nos immeubles respectifs qui sont seulement séparés par une fontaine. Mais, zéro contact. Nous ne pouvons pas nous voir.

- Des nouvelles de Shanghai?

- Non, rien depuis le 4 Février. Je pourrais demander à la productrice, qui irait demander à la direction du théâtre, qui irait demander à la ville, qui irait demander à.... ah ah ah!

- Personne n'oserait projeter quoi que ce soit.

- Ils finiraient par demander au ciel, donc pour aller plus vite, demandons au ciel directement, ah ah ah!

- Ah ah ah! C'est tout ce qu'on peut faire maintenant.

 

 

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21 mai 2020

Ne posez pas le verre, je vous offre du vin

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Pékin, le 9 Février 2020

 

Dans mon groupe chat "Ne posez pas le verre/ Je vous offre du vin":

- Ça va toi?

- Ça va.

- LC, ça va? il ne vous manque rien à la maison?

- Ça va. Les supermarchés ne livrent pas jusqu'à chez nous. Mais une cousine nous a apporté des légumes.

- Ah ah ah! Heureusement qu'il y a la famille.

- Je ne vois pas le bout du tunnel.

- J'ai annulé mon billet pour Pékin après demain. Je vais attendre encore quelques jours.

- Même les jeunes peuvent mourir de cette maladie. Le virus est coriace!

- Vraiment une sale gueule à force de rester cloîtrer à la maison comme un pestiféré.

- Bah tu retouches les photos comme tout le monde.

- Regardez! Ce sont des photos de nous que j'ai retrouvées dans mon ordinateur.

- Celle-là est le soir où je t'ai raccompagnée à la maison, toi complètement saoûle. Tu as vomi sur la route.

- J'ai vomi sur la route?

- Oui, tu ne te souviens pas?

- Bon, photo suivante.

- Celle-là est le soir de la dernière de Juste la fin du monde.

- Ouiii, en sortant du théâtre, je reconnais le hutong.

- Mais vraiment tu ne t'en souviens pas? Tu as supplié le gardien d'un bâtiment d'Etat pour qu'il te laisse entrer utiliser les toilettes!

- Trop gentil le gardien!

- Qu'est-ce que j'ai fait ce soir là!!!

- Vous arrivez à voir les photos quand je vous les envoie comme ça?

- Oui.

- Oui.

- Oui.

- Attends,  qui est cet étranger aux lunettes de soleil sur la photo?

- Il a la classe!

- C'est le metteur en scène.

- Ah oui, je me souviens de lui.

- Wow!

- Et celle-là, elle a été prise où?

- En haut, sur le balcon du théâtre.

- Attends, attends, j'adore celle-là!

- Ah quels jolis souvenirs!

- Les gars, vous avez vu la vidéo du chauffeur du camion dans le Hubei? Il m'a fait mal au coeur quand il a dit qu'il était fatigué...

- Oui, je l'ai vue moi aussi.

- Moi aussi.

- Vingt jours sur l'autoroute sans pouvoir trouver un péage qui le laisse sortir!

- Les gars, je vous envoie un poème publié en 1999! Vous allez voir...

- Mais j'ai l'air chauve sur cette photo!

- On dirait une nonne!

- Lisez ce journal tenu par une famile mixte: "Si j'arrive à tenir jusqu'au bout, ce sera grâce à ma colère"

- Il écrit bien!

- Et ce chauffeur de camion a une façon de raconter ce qui lui arrive... il a l'air tellement simple et bon.

- Ces témoignages des gens ordinaires m'aident à tenir ces jours-ci.

- C'est sûr. Il faut les conserver.

- Moi, je n'ai pas pu m'empêcher de chialer en les lisant.

- Quelle Marylin!

- Surtout ces récits simples. Ils me font tellemment mal.

- ...

- J'avais enfin réussi à me trouver de l'ail à livrer chez moi aujourd'hui...

- Cool, tu pourras te faire des plats avec un peu plus de goût!

- Mais à la place de l'ail, ils m'ont livré des bulbes de lys!

- Ah ah ah!

- Tu es tombé sur un supermarché de luxe ou quoi?!

- C'est vrai que ça ressemble à de l'ail.

- Maintenant il faut que je trouve une recette en ligne pour cuisiner avec les bulbes de lys!

- Ah merde! J'ai cassé ma cafetière! Ah non non non non!

- Ah non!

- Bon je vais réutiliser ce sachet de café instantané comme filtre.

- T'as pas de filtres de café chez toi?

- Non.

- Sinon... papier toilettes dans une passoire...?

- ...

 

xxx

20 mai 2020

Sans titre

IMG_9572Pékin, le 8 Février 2020

 

Au quinzième jour du premier mois lunaire. C'est la fête des lanternes.

- Ça va?

- Ça va.

- Tu sais si le travail reprend le 10? Des échos?

- Rien.

- Cette neige, je n'en peux plus.

- C'est calme.

- J'ai faim.

- Moi aussi, j'ai faim tout le temps.

 

xxx

20 mai 2020

Retenu et compris.

servantenbPékin, le 7 Février 2020

 

La nuit qu'on vient de passer a été une nuit mouvementée pour beaucoup d'entre nous.

Dès le début de la nuit, des nouvelles contradictoires du jeune médecin L surgissent dans les réseaux sociaux: celles qui surprennent tout le monde en annonçant qu'il vient de partir, et celles affirmant qu'on est encore en train de se battre pour sauver sa vie.

Sur wechat, on voit défiler une quantité d'informations sur ce qui arrive à L depuis décembre dernier et dont nous avons commencé à prendre connaissance depuis ces derniers jours: découverte d'un document interne sur l'existence des cas suspects du SRAS dans sa ville; alerte donnée dans ses groupes d'amis wechat, essentiellement composés de collègues et d'anciens camarades de faculté; avertissement oral par ses supérieurs; avertissement écrit par l'autorité locale; contamination du nouveau coronavirus; hospitalisation...

Je me souviens d'avoir vu une vidéo de lui en train de faire un appel vidéo à sa mère dans sa chambre d'hôpital pour la rassurer et dire, comme tout médecin chinois en ce moment, qu'il aimerait être sur le front au plus vite pour sauver les malades, dès qu'il sera rétabli. Il paraissait jeune, avait l'air de quelqu'un de doux, et parlait avec de l'optimisme.

Etait-ce avant-hier, hier?  

Plus la nuit avançait, plus l'espoir s'amenuisait. De moins en moins de posts sur wechat pour contredire sa disparition. Maintenant, on le sait. L est parti, pour toujours.

La nouvelle est accablante. Elle vient à ce moment précis où le temps est totalement opaque et incertain pour nous qui sommes coincés à la maison. La tristesse est pour lui et pour notre propre condition. Et cette tristesse, née dans la nuit, se mue en une colère sourde au commencement du jour.

De plus de plus d'images noires sont postées par les gens sur wechat ou weibo. Il y en a tellement que cela ressemble presque à un blackout sur mon écran de téléphone. C'est la première image de deuil.

Puis, dans la journée, il y a eu des bougies, il y a eu des fleurs... devant l'hôpital, sur les réseaux sociaux... Puis, vient le besoin de comprendre. Qui était-il? Qu'avait-t-il fait exactement? Qu'avait-t-il fait de mal exactement?

Une phrase et une photo circulent depuis.

La phrase est de L dans une interview donnée début février, pendant son hospitalisation: "Une société en bonne santé ne doit pas avoir qu'une seule voix. "

La photo est celle de l'avertissement qu'on a demandé à L de contresigner fin décembre lorsqu'il a alerté ses amis et collègues sur l'existence de cas suspects. Dessus, on voit L écrire à la main, à la façon de "lu et approuvé" : retenu et compris.

 

 

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11 mai 2020

Notre vie

IMG_9533Pékin, le 6 Février 2020

 

Air France a suspendu tous ses vols de et vers la Chine.

A mes amis qui ne sont pas ici et qui me demandent ce qui se passe, je leur parle de:

cette file d'attente interminable de gens devant une pharmacie pour acheter des masques;

ce vieil homme qui longe le mur d'un immeuble en quarantaine tard la nuit en jouant de l'accordéon;

ce chef de village qui se poste à l'entrée du village, un bâton à la main, pour empêcher les gens de l'extérieur d'entrer;

ce vieil homme vivant seul qui refuse la visite de son fils et lui jette par la fenêtre un sachet plastique. Dedans sont une enveloppe rouge contenant de l'argent et un masque 3M;

cette bagarre entre une vendeuse et une cliente qui refuse de porter un masque dans la boutique;

ce mur de briques grises élevé à l'entrée d'une résidence pour empêcher les gens extérieurs d'entrer;

cette fuite d'une passagère lorsque le chauffeur de bus sort le thermoscan pour contrôler sa température;

cette distribution gratuite de masques par un groupe de jeunes gens dans la rue;

ce couloir d'hôpital rempli de malades à craquer;

cette villageoise médusée devant le drône du commissariat du village et de cette voix sortant du drône: "Grand-mère, dépêchez-vous de rentrer si vous n'avez pas de masque, et n'oubliez pas de vous laver les mains en rentrant." ;

cette bagarre entre deux personnes énervées dans une longue file d'attente;

cette interview du chef du service de maladies infectieuses de Huashan Hospital à Shanghai: "Il ne faut pas toujours brimer les plus honnêtes gens!";

ce mari médecin en combinaison de protection qui rend visite à sa femme infirmière elle-même en combinaison de protection, tous deux séparés par une grande vitre de protection. Ils se regardent, se disent "courage" , puis, la femme infirmière regarde tout sourire son mari médecin repartir à son poste, puis se retourne, les yeux remplis de larmes derrière ses lunettes de protection;

ce sanglier affolé qui court sur un boulevard périphérique;

ces habitants de Wuhan qui allument le flash de leur téléphone à la nuit tombée et crient à la fenêtre: "Courage Wuhan!";

ce chauffeur de camion qui passe des jours sur les autoroutes sans pouvoir rentrer chez lui; Il dort dans son camion et dit à l'agent de circulation qui vient lui coller l'amende: "Pardon, mais je suis tellement tellement fatigué."

ce médecin L, un des premiers à savoir et fait savoir ce qui se passe à Wuhan,  entubé en salle de réanimation, lui même atteint du nouveau coronavirus;

ces huit infirmières croulant sous la fatigue se reposent alignées à même le sol;

cette interview du très respecté Docteur Zhong Nanshan, les larmes aux yeux en parlant de ce qui se passe à Wuhan;

cette infirmière qui voit sa fille venue lui rendre visite à l'hôpital et ne peut que faire semblant de l'embrasser, à 10 mètres de distance l'une de l'autre;

ce direct à la télé assuré par un journaliste local qui nous montre l'artère principale de la ville de Wuhan d'ordinaire embouteillée et qui craque en répétant: Ma ville est malade! Ma ville est malade!

cette fille qui court derrière une voiture funéraire et hurle à l'épuisement: "maman, maman, maman...";

ce mari qui pleure et crie à sa femme médecin qui monte dans un car rempli de personnel soignant pour Wuhan:"T'as intérêt à me revenir saine et sauve, tu m'entends?"

cette infirmière qui refuse catégoriquement d'être filmée par la caméra de la télévision: "si ma mère me voit dans cet état, elle va s'inquièter pour moi";

ce contrôleur du train qui tend un masque à une vieille dame qui panique en le voyant et pleure: pardon pardon, je sais qu'il faut porter un masque, mais je n'en trouve nulle part, vraiment nulle part."

cette hôtesse de l'air qui finit son annonce de sécurité avec une voix étranglée d'émotion: "Courage tout le monde, courage, courage!

Tout n'est pas bien, tout n'est pas mal. C'est notre vie, ici.

Je ne l'oublierai pas.

 

 

xxx

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