Déjà-vu
Wenzhou, le 30 Janvier 2020
La journée a commencé avec When did you leave Heaven de Lisa Ekdahl.
La chanson est dans un album portant le même nom. Je me souviens de l'avoir acheté à la FNAC Saint Lazare, à côté de mon lycée.
Après toutes ces années, l'album CD est encore là. Ma mère l'a mis ce matin avant de commencer le nettoyage dans la maison.
C'est devenu un rituel depuis quelques jours: le matin, à la première heure, on ouvre toutes les fenêtres pour aérer la maison et on nettoie de fond en comble.
La ville a temporairement fermé ses sorties d'autoroutes depuis 22h hier soir. On apprend dans la foulée la suspension de la ligne S1 du métro ainsi que tous les ferries dès ce soir à minuit.
Sensation de déjà-vu.
Peut-être serait-il plus raisonnable que je rentre vite chez moi à Pékin. J'inquièterai moins la production qui pense d'ores et déjà à toutes les mesures de précaution à prendre pour démarrer en sécurité les répétitions dans une semaine à Shanghai.
Surprise, il y a très peu de vols au départ et à l'arrivée de Wenzhou et on voit en simultané des annulations de vols dont le statut passe du vert au rouge. A ce rythme, allons-nous nous réveiller demain en découvrant l'aéroport fermé? Je crains le pire... Dernièrement, certaines mesures importantes sont annoncées en pleine nuit, et nous prennent souvent au dépourvu au réveil le lendemain matin.
Ma mère m'encourage de partir le plus vite possible:"Il faut penser à ton travail dans une semaine. De toute façon, moi aussi, je pars demain." dit-elle, en commençant à préparer des tupperwares de nourritures à emmener avec moi à Pékin, "au cas où tu dois rester chez toi en confinement pour quelques jours."
J'achète un billet en ligne pour le soir et me mets à faire ma valise, qui n'est pas encore complètement défaite depuis mon arrivée.
La journée passe vite, dans la précipitation du départ. Sans que personne n'ose jamais l'avouer, on sent une inquiétude qui monte face l'évolution de l'épidémie. Une impression d'être en temps de guerre. Mais bien sûr, on essaie de paraître léger et rire de cette situation, quand le moment est venu de se dire au revoir.
Dans la voiture qui m'emmène à l'aéroport, on voit défiler une ville déserte. J'ai du mal à respirer dans mon masque.
L'aéroport ne ressemble plus à celui que j'ai connu il y a à peine six jours. Tout le personnel de l'aéroport est en combinaison de haute protection qui leur donne un air de cosmonautes. Des détecteurs de températures placés à des différents endroits empêchent des passagers ayant plus de 37 °3 de partir de la ville. Les rares passagers qui se trouvent là ce soir passent les détecteurs, dans un silence indescriptible. Même type de contrôles se répètent et continuent jusque dans l'avion où les hôtesses de l'air, essayant tant bien que mal de paraître calmes derrière leur masque, vérifient une dernière fois la température de tous les passagers avant de procéder à la fermeture des portes.
Après un temps de roulage qui paraît éternel, l'avion décolle enfin. Je finis de remplir le formulaire de déclaration de santé exigé pour rentrer à Pékin, range mon stylo et respire enfin un grand coup, dans mon masque. Mes lunettes se remplissent aussitôt de buée.
L'avion quitte Wenzhou, vole au dessus de la mer. A travers le hublot, j'arrive encore à distinguer le contour de la ville. Une ville qui paraît endormie. Je la quitte le coeur serré. Quel sort l'attend demain? Et quel sort m'attend en arrivant à Pékin?
Je prie, en silence.
L'avion pivote puis se met droit en direction du Nord. D'ici à Pékin, presqu'une ligne droite. Dans trois heures je serai chez moi, si tout va bien.
Après une petite turbulence, on arrive en mode croisière. Calme à nouveau. Tout est silence. La lune apparait au bout de l'aile de l'avion.
When did you leave heaven angel
Angel when did you leave heaven
Angel of mine
xxx