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riji
22 mai 2020

Tout ce qu'on peut faire maintenant

IMG_9607Pékin, le 10 Février 2020

 

Il fait froid. Le chauffage collectif de l'immeuble marche mal. Mais impossible que le syndic fasse venir quelqu'un pour vérifier le bon fonctionnement des tuyaux. On ne laisse plus entrer personne de l'extérieur.

Même situation pour YH qui habite dans l'immeuble à côté.

Je devais être avec YH à Shanghai depuis deux jours. Nous étions impatients de nous y retrouver pour vivre et travailler ensemble, le temps de la création.

Mais aujourd'hui, nous sommes toujours à Pékin, à moins de 50 mètres l'un de l'autre, coincés dans nos immeubles respectifs qui sont seulement séparés par une fontaine. Mais, zéro contact. Nous ne pouvons pas nous voir.

- Des nouvelles de Shanghai?

- Non, rien depuis le 4 Février. Je pourrais demander à la productrice, qui irait demander à la direction du théâtre, qui irait demander à la ville, qui irait demander à.... ah ah ah!

- Personne n'oserait projeter quoi que ce soit.

- Ils finiraient par demander au ciel, donc pour aller plus vite, demandons au ciel directement, ah ah ah!

- Ah ah ah! C'est tout ce qu'on peut faire maintenant.

 

 

xxx

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21 mai 2020

Ne posez pas le verre, je vous offre du vin

IMG_9602 2

Pékin, le 9 Février 2020

 

Dans mon groupe chat "Ne posez pas le verre/ Je vous offre du vin":

- Ça va toi?

- Ça va.

- LC, ça va? il ne vous manque rien à la maison?

- Ça va. Les supermarchés ne livrent pas jusqu'à chez nous. Mais une cousine nous a apporté des légumes.

- Ah ah ah! Heureusement qu'il y a la famille.

- Je ne vois pas le bout du tunnel.

- J'ai annulé mon billet pour Pékin après demain. Je vais attendre encore quelques jours.

- Même les jeunes peuvent mourir de cette maladie. Le virus est coriace!

- Vraiment une sale gueule à force de rester cloîtrer à la maison comme un pestiféré.

- Bah tu retouches les photos comme tout le monde.

- Regardez! Ce sont des photos de nous que j'ai retrouvées dans mon ordinateur.

- Celle-là est le soir où je t'ai raccompagnée à la maison, toi complètement saoûle. Tu as vomi sur la route.

- J'ai vomi sur la route?

- Oui, tu ne te souviens pas?

- Bon, photo suivante.

- Celle-là est le soir de la dernière de Juste la fin du monde.

- Ouiii, en sortant du théâtre, je reconnais le hutong.

- Mais vraiment tu ne t'en souviens pas? Tu as supplié le gardien d'un bâtiment d'Etat pour qu'il te laisse entrer utiliser les toilettes!

- Trop gentil le gardien!

- Qu'est-ce que j'ai fait ce soir là!!!

- Vous arrivez à voir les photos quand je vous les envoie comme ça?

- Oui.

- Oui.

- Oui.

- Attends,  qui est cet étranger aux lunettes de soleil sur la photo?

- Il a la classe!

- C'est le metteur en scène.

- Ah oui, je me souviens de lui.

- Wow!

- Et celle-là, elle a été prise où?

- En haut, sur le balcon du théâtre.

- Attends, attends, j'adore celle-là!

- Ah quels jolis souvenirs!

- Les gars, vous avez vu la vidéo du chauffeur du camion dans le Hubei? Il m'a fait mal au coeur quand il a dit qu'il était fatigué...

- Oui, je l'ai vue moi aussi.

- Moi aussi.

- Vingt jours sur l'autoroute sans pouvoir trouver un péage qui le laisse sortir!

- Les gars, je vous envoie un poème publié en 1999! Vous allez voir...

- Mais j'ai l'air chauve sur cette photo!

- On dirait une nonne!

- Lisez ce journal tenu par une famile mixte: "Si j'arrive à tenir jusqu'au bout, ce sera grâce à ma colère"

- Il écrit bien!

- Et ce chauffeur de camion a une façon de raconter ce qui lui arrive... il a l'air tellement simple et bon.

- Ces témoignages des gens ordinaires m'aident à tenir ces jours-ci.

- C'est sûr. Il faut les conserver.

- Moi, je n'ai pas pu m'empêcher de chialer en les lisant.

- Quelle Marylin!

- Surtout ces récits simples. Ils me font tellemment mal.

- ...

- J'avais enfin réussi à me trouver de l'ail à livrer chez moi aujourd'hui...

- Cool, tu pourras te faire des plats avec un peu plus de goût!

- Mais à la place de l'ail, ils m'ont livré des bulbes de lys!

- Ah ah ah!

- Tu es tombé sur un supermarché de luxe ou quoi?!

- C'est vrai que ça ressemble à de l'ail.

- Maintenant il faut que je trouve une recette en ligne pour cuisiner avec les bulbes de lys!

- Ah merde! J'ai cassé ma cafetière! Ah non non non non!

- Ah non!

- Bon je vais réutiliser ce sachet de café instantané comme filtre.

- T'as pas de filtres de café chez toi?

- Non.

- Sinon... papier toilettes dans une passoire...?

- ...

 

xxx

20 mai 2020

Sans titre

IMG_9572Pékin, le 8 Février 2020

 

Au quinzième jour du premier mois lunaire. C'est la fête des lanternes.

- Ça va?

- Ça va.

- Tu sais si le travail reprend le 10? Des échos?

- Rien.

- Cette neige, je n'en peux plus.

- C'est calme.

- J'ai faim.

- Moi aussi, j'ai faim tout le temps.

 

xxx

20 mai 2020

Retenu et compris.

servantenbPékin, le 7 Février 2020

 

La nuit qu'on vient de passer a été une nuit mouvementée pour beaucoup d'entre nous.

Dès le début de la nuit, des nouvelles contradictoires du jeune médecin L surgissent dans les réseaux sociaux: celles qui surprennent tout le monde en annonçant qu'il vient de partir, et celles affirmant qu'on est encore en train de se battre pour sauver sa vie.

Sur wechat, on voit défiler une quantité d'informations sur ce qui arrive à L depuis décembre dernier et dont nous avons commencé à prendre connaissance depuis ces derniers jours: découverte d'un document interne sur l'existence des cas suspects du SRAS dans sa ville; alerte donnée dans ses groupes d'amis wechat, essentiellement composés de collègues et d'anciens camarades de faculté; avertissement oral par ses supérieurs; avertissement écrit par l'autorité locale; contamination du nouveau coronavirus; hospitalisation...

Je me souviens d'avoir vu une vidéo de lui en train de faire un appel vidéo à sa mère dans sa chambre d'hôpital pour la rassurer et dire, comme tout médecin chinois en ce moment, qu'il aimerait être sur le front au plus vite pour sauver les malades, dès qu'il sera rétabli. Il paraissait jeune, avait l'air de quelqu'un de doux, et parlait avec de l'optimisme.

Etait-ce avant-hier, hier?  

Plus la nuit avançait, plus l'espoir s'amenuisait. De moins en moins de posts sur wechat pour contredire sa disparition. Maintenant, on le sait. L est parti, pour toujours.

La nouvelle est accablante. Elle vient à ce moment précis où le temps est totalement opaque et incertain pour nous qui sommes coincés à la maison. La tristesse est pour lui et pour notre propre condition. Et cette tristesse, née dans la nuit, se mue en une colère sourde au commencement du jour.

De plus de plus d'images noires sont postées par les gens sur wechat ou weibo. Il y en a tellement que cela ressemble presque à un blackout sur mon écran de téléphone. C'est la première image de deuil.

Puis, dans la journée, il y a eu des bougies, il y a eu des fleurs... devant l'hôpital, sur les réseaux sociaux... Puis, vient le besoin de comprendre. Qui était-il? Qu'avait-t-il fait exactement? Qu'avait-t-il fait de mal exactement?

Une phrase et une photo circulent depuis.

La phrase est de L dans une interview donnée début février, pendant son hospitalisation: "Une société en bonne santé ne doit pas avoir qu'une seule voix. "

La photo est celle de l'avertissement qu'on a demandé à L de contresigner fin décembre lorsqu'il a alerté ses amis et collègues sur l'existence de cas suspects. Dessus, on voit L écrire à la main, à la façon de "lu et approuvé" : retenu et compris.

 

 

xxx

11 mai 2020

Notre vie

IMG_9533Pékin, le 6 Février 2020

 

Air France a suspendu tous ses vols de et vers la Chine.

A mes amis qui ne sont pas ici et qui me demandent ce qui se passe, je leur parle de:

cette file d'attente interminable de gens devant une pharmacie pour acheter des masques;

ce vieil homme qui longe le mur d'un immeuble en quarantaine tard la nuit en jouant de l'accordéon;

ce chef de village qui se poste à l'entrée du village, un bâton à la main, pour empêcher les gens de l'extérieur d'entrer;

ce vieil homme vivant seul qui refuse la visite de son fils et lui jette par la fenêtre un sachet plastique. Dedans sont une enveloppe rouge contenant de l'argent et un masque 3M;

cette bagarre entre une vendeuse et une cliente qui refuse de porter un masque dans la boutique;

ce mur de briques grises élevé à l'entrée d'une résidence pour empêcher les gens extérieurs d'entrer;

cette fuite d'une passagère lorsque le chauffeur de bus sort le thermoscan pour contrôler sa température;

cette distribution gratuite de masques par un groupe de jeunes gens dans la rue;

ce couloir d'hôpital rempli de malades à craquer;

cette villageoise médusée devant le drône du commissariat du village et de cette voix sortant du drône: "Grand-mère, dépêchez-vous de rentrer si vous n'avez pas de masque, et n'oubliez pas de vous laver les mains en rentrant." ;

cette bagarre entre deux personnes énervées dans une longue file d'attente;

cette interview du chef du service de maladies infectieuses de Huashan Hospital à Shanghai: "Il ne faut pas toujours brimer les plus honnêtes gens!";

ce mari médecin en combinaison de protection qui rend visite à sa femme infirmière elle-même en combinaison de protection, tous deux séparés par une grande vitre de protection. Ils se regardent, se disent "courage" , puis, la femme infirmière regarde tout sourire son mari médecin repartir à son poste, puis se retourne, les yeux remplis de larmes derrière ses lunettes de protection;

ce sanglier affolé qui court sur un boulevard périphérique;

ces habitants de Wuhan qui allument le flash de leur téléphone à la nuit tombée et crient à la fenêtre: "Courage Wuhan!";

ce chauffeur de camion qui passe des jours sur les autoroutes sans pouvoir rentrer chez lui; Il dort dans son camion et dit à l'agent de circulation qui vient lui coller l'amende: "Pardon, mais je suis tellement tellement fatigué."

ce médecin L, un des premiers à savoir et fait savoir ce qui se passe à Wuhan,  entubé en salle de réanimation, lui même atteint du nouveau coronavirus;

ces huit infirmières croulant sous la fatigue se reposent alignées à même le sol;

cette interview du très respecté Docteur Zhong Nanshan, les larmes aux yeux en parlant de ce qui se passe à Wuhan;

cette infirmière qui voit sa fille venue lui rendre visite à l'hôpital et ne peut que faire semblant de l'embrasser, à 10 mètres de distance l'une de l'autre;

ce direct à la télé assuré par un journaliste local qui nous montre l'artère principale de la ville de Wuhan d'ordinaire embouteillée et qui craque en répétant: Ma ville est malade! Ma ville est malade!

cette fille qui court derrière une voiture funéraire et hurle à l'épuisement: "maman, maman, maman...";

ce mari qui pleure et crie à sa femme médecin qui monte dans un car rempli de personnel soignant pour Wuhan:"T'as intérêt à me revenir saine et sauve, tu m'entends?"

cette infirmière qui refuse catégoriquement d'être filmée par la caméra de la télévision: "si ma mère me voit dans cet état, elle va s'inquièter pour moi";

ce contrôleur du train qui tend un masque à une vieille dame qui panique en le voyant et pleure: pardon pardon, je sais qu'il faut porter un masque, mais je n'en trouve nulle part, vraiment nulle part."

cette hôtesse de l'air qui finit son annonce de sécurité avec une voix étranglée d'émotion: "Courage tout le monde, courage, courage!

Tout n'est pas bien, tout n'est pas mal. C'est notre vie, ici.

Je ne l'oublierai pas.

 

 

xxx

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10 mai 2020

Pékin en hiver

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Pékin, le 5 Février 2020

 

Une photo prise par un journaliste dans un hôpital de campagne à Wuhan devient virale en Chine aujourd'hui. Sur la photo, on voit des centaines de lits blancs alignés pour accueillir provisoirement les patients présentant des symptômes légers du coronavirus. Certains sont en train de dormir, d'autres regardent leur téléphone, probablement pour lire des messages des proches ou suivre les dernières informations sur l'épidémie.

Un jeune homme se distingue au milieu de ce paysage blanc clinique. Habillé d'un pull bleu flashy, il est allongé avec un livre gris à la main. Sur la couverture du livre, on y voit clairement la lettre m. Il est en train de lire The Origins of Political Order de Francis Fukuyama. Je n'ai jamais lu ce livre, mais je suis content que cette photo de quelqu'un qui lit attire autant d'attention dans le pays.

J'ai sorti quelques livres de ma bibliothèque aujourd'hui. Je les ai mis en une pile sur ma table à manger. Des livres que j'aimerais lire en ce moment, j'ai besoin qu'ils soient là, à l'endroit le plus visible. Je vais commencer par relire La peste de Camus.

Cela fait six jours que je suis rentré chez moi à Pékin, sans jamais mettre les pieds dehors. La neige continue à tomber dans la ville. De ma fenêtre, je vois toujours un quartier vide, pas de piétons, aucune voiture. Je prends mon chien dans mes bras et m'approche de la fenêtre pour regarder les flocons tomber avec lui. Silence rare.

Le calme est interrompu par des messages de mon ami MA. Il commence à s'ennuyer ferme chez lui:

- à 6h du matin / il ne neigeait pas / je me suis réveillé.

- Ecris des haïkus tous les jours, tu commences bien là.

- Quel ennui / des flocons / des faux cons / Pékin en hiver / La misère.

- Bon, va faire des coloriages. Les haïkus, finalement, c'est pas une bonne idée pour toi.

 

 

xxx

9 mai 2020

Zéro contact

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Pékin, le 4 Février 2020

 

De plus en plus de foyers de contagion déclarés partout dans le pays, souvent à cause des banquets familiaux tenus pendant cette période de nouvel an. Les gouvernements locaux annoncent des mesures de plus en plus strictes contre la propagation du virus. Les villes ferment non seulement leurs frontières avec l'extérieur, mais vont jusqu'à imposer un confinement strict aux habitants. Désormais, pour la plupart d'entre nous, il faut se munir d'un laisser-passer et être soumis à un contrôle de température pour rentrer chez soi.

Pour moi qui n'ai jamais pu trouver de masques ni d'eau de javel ou d'alcool à 75 degrés depuis le début de l'histoire, rester chez soi semble la seule solution à laquelle je me suis résolu depuis mon retour à Pékin. En attendant de partir travailler à Shanghai.

Au fond d'un tiroir, j'ai trouvé des bâtonnets d'encens tibétains qui, d'après la notice sur la boîte, ont pour vertu d'assainir les espaces, en désinfectant et purifiant l'air... Tashi Delek! J'en ai aussitôt allumé un et parcouru toutes les pièces de mon appartement avec avant de le déposer sur un porte-encens. Son efficacité reste à prouver scientifiquement, mais ça ne fait jamais de mal de sentir cette odeur particulière d'herbes tibétaines et de voir la danse de sa fumée. Suis-je en train de devenir fou?

Loin de la folie d'ici, mon amie YM, auteure de la pièce que je vais bientôt monter à Shanghai, est dans un train roulant vers Berlin. Elle vient de finir une session de travail à Mannheim où elle travaillait avec une équipe de là-bas sur la colonisation allemande à Qingdao avant la Première Guerre mondiale. "As-tu des masques? Je vais t'en ramener de Berlin quand je vous rejoins à Shanghai." m'écrit-elle dans le train. Elle me dit qu'elle est impatiente de revenir "expérimenter le confinement."

Mais à la fin de la journée, YM et moi, nous finirons par apprendre, chacun de notre côté, que nos retrouvailles ne se feront pas de sitôt. Le Théâtre vient de décider de reporter la date de début de création en ses lieux.

Notre première semaine de création, prévue pour le travail à la table avec les comédiens, l'auteure et moi n'aura pas lieu dans la belle salle de répétition du théâtre, avec vue sur le quartier de l'ancienne concession française. Difficile d'entrer et sortir de l'immeuble du théâtre, avec les nouvelles mesures strictes du confinement. Nous serons invités à nous connecter en ligne, pour démarrer virtuellement les premières séances de répétitions...

Zéro contact.

 

 

xxx

8 mai 2020

Reconnaissance éternelle

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Pékin, le 3 Février 2020

 

Découverte d'un stock de nourriture constitué par mon ami MA avant mon retour à Pékin, dans un des placards de la cuisine: des pâtes, du lait, de la farine, des cookies au chocolat, des biscuits à l'orange, des raisins secs, toutes sortes de lentilles en conserves... Je me sens la personne la plus chanceuse du quartier!

"Au cas où ça empire!" me dit MA dans un message. Je lui répond en plaisantant:"C'est chiant, il n'y a rien que j'aime, ah ah ah!"

Les médias locaux rapportent que le CDC de Canton a découvert la présence du virus sur une poignet de porte. Je dilue aussitôt un bouchon de dettol dans une bouteille et vaporise la poignet de porte, le verrou... puis, finalement toute la porte. Je filme le tout en vidéo et l'envoie à MA par le wechat, au cas où il n'a pas eu cette même info dans la presse francophone. A quoi il me répond aussitôt: "Mais tu crois quoi? Ça fait deux semaines que je le fais."

Des soignants de l'armée ont pris quartier dans le tout nouvel hôpital Huoshenshan (montagne du dieu du feu) pour accueillir les premiers patients transférés des hôpitaux de Wuhan. On annonce la construction des hôpitaux de campagne dans trois arrondissements de la ville pour les patients présentant des symptômes légers. Comme les images montrées à la télé, avec la mobilisation des médecins et infirmiers des quatre coins du pays motivés à bloc qui affluent vers Wuhan et les soldats qui arrivent en renfort, le pays est en état de guerre.

La plupart d'entre nous, confinés désormais à la maison, suivent cette guerre contre le virus à la télé ou sur le téléphone, avec un sentiment de totale impuissance. Le calme qui règne dans notre environnement immédiat s'oppose aux images de chaos qu'on voit dans les hôpitaux, transmises à la télé ou rapportées par les journaux, un contraste saisissant.

Je suis en admiration sans limite devant ces hommes et femmes en blouse blanche, masques, lunettes et combinaison de protection. Certains sont des aguerris qui ont vécu le SRAS, d'autres sont tout juste sortis de leur école de médecine. Ils se trouvent tout à coup projetés sur le terrain le plus difficile qu'ils n'aient jamais connu. Pendant que le pays entier regarde ces baiyitianshi (anges aux blouses blanches) en hurlant "Courage, courage!", j'espère vraiment qu'on ne les oubliera pas, une fois l'épreuve passée.

Qu'on n'oublie pas ces images: de celle qui monte dans un car rempli de personnel soignant pour Wuhan et qui laisse son mari derrière qui pleure et crie: je t'aime, t'as intérêt à me revenir saine et sauve; de celui qui enlève son masque de protection au bout d'une journée passée dans les chambres à pression négative, avec des traces du masque sur le visage comme marquées au fer rouge et qui continue à sourire au téléphone avec sa mère à l'autre bout de la ligne; de celle qui voit sa fille venue lui rendre visite à l'hôpital et ne peut que faire semblant de l'embrasser, à 10 mètres de distance l'une de l'autre... toutes ces démonstrations d'amour qu'on n'a pas l'habitude de voir chez un peuple réputé réservé. Ils savent qu'ils sont à l'endroit qui craint le plus et que demain est incertain.

Qu'on n'oublie pas leurs conditions difficiles de travail au quotidien et leur sacrifice personnel, complètement disproportionnés par rapport à leur modeste salaire.

Qu'on n'oublie jamais ces femmes et ces hommes là. Reconnaissance éternelle.

 

xxx

7 mai 2020

Pourquoi nous?

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Pékin, le 2 Février 2020

 

Il neige!

Longtemps qu'on ne voit plus autant de flocons tomber à Pékin. Par la fenêtre, je ne vois personne dehors, ni dans la rue ni dans la cour de mon immeuble. La neige a complètement couvert le terrain de jeux des enfants. La ville est comme endormie, couverte d'un drap blanc. Un calme extraordinaire.

Les vols continuent à être annulés de plus en plus. La chance de pouvoir rentrer à Paris s'amenuise au jour le jour pour ma mère. "Heureusement, j'ai encore plein de graines de millet pour faire des soupes, un demi sachet de crevettes séchées et des raviolis au congélateur. Je ferai avec ce que j'ai, en faisant attention à bien rationner. Je survivrai sans problème jusqu'à la mi Février, et je me ferai des plaisirs culinaires une fois rentrée à Paris." me rassure-t-elle dans le wechat. Je suis fier de la voir aussi calme et optimiste devant cette situation.

YH et DX qui habitent dans l'immeuble à côté du mien, m'ont envoyé un message quand ils ont appris mon retour à Pékin:"n'hésite pas à nous envoyer un message si tu as besoin de quoi que ce soit, on te les achètera à notre prochaine sortie des courses." Je les ai remercié de cette gentille intention en leur disant de pas trop s'inquiéter pour moi :" j'ai tout ce qu'il faut dans mon placard, des graines de millets, des lentilles vertes, rouges, noires... je tiendrai bien pour encore quelques semaines, j'en suis sûr. "-

La France a organisé un premier rapatriement des expatriés vivant à Wuhan. Grand soulagement pour ceux qui se sentent perdre leur liberté de mouvement avec le confinement ici. On voit les premières images de leur quarantaine au retour en France, dans un centre de vacances à Carry-le-Rouet, tout près de Marseille: les pins, le soleil, la mer et bientôt les oursins ( la petite station balnéaire s'apprête à débuter les "oursinades" dimanche suivant). Ah! Douce France...

Seule ombre au tableau, certains habitants de Carry-le-Rouet craignent une mauvaise publicité pour leur commune qui entraînera une baisse de fréquentation de visiteurs. "Pourquoi nous?" s'interrogent-ils, mécontents de devoir accueillir malgré eux ces rapatriés de Wuhan.

Ils ne sont pas les seuls à vouloir poser cette question aujourd'hui, et très certainement, dans les jours à venir: "Pourquoi nous?"

 

 

xxx

4 mai 2020

Il faut continuer

Pékin, le 1er Février 2020

 

Il y a eu une explosion hier soir dans un appartement à Wuhan. Le mari désinfectait entièrement l'appartement en vaporisant de l'alcool à 75 degrés pendant que sa femme était en train de faire la cuisine. Depuis quelques jours, ce genre d'accidents se muliplient, l'alcool à 75 degrés étant connu pour sa propriété virucide. Evidemment, plus de stock nulle part, tout comme les masques et l'eau de javel.

Les Etat-Unis et l'Australie ont annoncé la fermeture de leurs frontières à toute personne venant de Chine ou ayant transité par la Chine.

Je pense à MY qui est en ce moment même avec sa femme en Californie, en attente de la naissance de leur premier enfant. J'espère que tout se passe plus en douceur pour eux là-bas.

Dans mon groupe chat, HB pense beaucoup à Wuhan, sa ville natale, elle regrette de ne pas être rentrée là-bas avant sa fermeture. LC est confiné à la maison depuis qu'il est rentré dans sa ville natale du Hubei, il y a au moins dix jours maintenant. TJ veut revenir à Pékin, elle pense être là dès ce week-end. HB lui répond:"Le comité du quartier fait du porte à porte pour nous recenser...  je crains que bientôt la ville ne laissera plus les gens revenir."

Toujours dans le wechat, ma productrice de Shanghai fait aussi son recensement avec toute l'équipe de production: "qui est déjà à Shanghai? qui est dans sa ville natale? qui est en vacances à l'étranger? Quelle est la date de retour prévue?" Pour tous ceux qui reviennent d'ailleurs, il y aura une quarantaine obligatoire, exigé par la direction du Théâtre, pour la sécurité de tous. Deux personnes sur dix répondent présents à Shanghai. "Vous êtes des bons camarades!" plaisante la productrice.

En message privé, on me demande d'auditionner en ligne des comédiennes de la troupe pour remplacer ZD. Pour elle qui est à Wuhan, même une quarantaine ne suffirait pas pour reprendre le travail.

Auditionner les comédiens en ligne, par vidéo conférence... En temps normal, j'aurai trouvé cela ridicule, farfelu et fou! C'est totalement contraire à ma conception du théâtre, de nos rapports au théâtre. Mais, sommes-nous encore en temps normal? En tout cas, le temps n'est pas à se plaindre, il faut résister à l'envie de renoncer, il faut continuer... J'ai encore envie de croire que nous allons réussir à faire cette création, malgré tout ce qui se passe. J'ai donné rendez-vous à 20h en ligne pour démarrer les auditions.

- "Pour être sûr, pourrais-tu venir à Shanghai une semaine avant le début des répétitions?" - me demande ma productrice, avec trois smileys d'embarras.

- Moi: "Pour faire une quarantaine?"  

- Elle: "Pour faire une quarantaine, oui"

-Moi, avec aussi trois smileys d'embarras: "J'ai l'impression de vivre en quarantaine depuis le début de l'année du Rat."

- "Toujours en quarantaine, mais avec des vues différentes, ah ah ah!"

- "Ah, ah, ah!"

Allez, on y croit, il faut continuer.

 

xxx

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