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riji

10 mai 2020

Pékin en hiver

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Pékin, le 5 Février 2020

 

Une photo prise par un journaliste dans un hôpital de campagne à Wuhan devient virale en Chine aujourd'hui. Sur la photo, on voit des centaines de lits blancs alignés pour accueillir provisoirement les patients présentant des symptômes légers du coronavirus. Certains sont en train de dormir, d'autres regardent leur téléphone, probablement pour lire des messages des proches ou suivre les dernières informations sur l'épidémie.

Un jeune homme se distingue au milieu de ce paysage blanc clinique. Habillé d'un pull bleu flashy, il est allongé avec un livre gris à la main. Sur la couverture du livre, on y voit clairement la lettre m. Il est en train de lire The Origins of Political Order de Francis Fukuyama. Je n'ai jamais lu ce livre, mais je suis content que cette photo de quelqu'un qui lit attire autant d'attention dans le pays.

J'ai sorti quelques livres de ma bibliothèque aujourd'hui. Je les ai mis en une pile sur ma table à manger. Des livres que j'aimerais lire en ce moment, j'ai besoin qu'ils soient là, à l'endroit le plus visible. Je vais commencer par relire La peste de Camus.

Cela fait six jours que je suis rentré chez moi à Pékin, sans jamais mettre les pieds dehors. La neige continue à tomber dans la ville. De ma fenêtre, je vois toujours un quartier vide, pas de piétons, aucune voiture. Je prends mon chien dans mes bras et m'approche de la fenêtre pour regarder les flocons tomber avec lui. Silence rare.

Le calme est interrompu par des messages de mon ami MA. Il commence à s'ennuyer ferme chez lui:

- à 6h du matin / il ne neigeait pas / je me suis réveillé.

- Ecris des haïkus tous les jours, tu commences bien là.

- Quel ennui / des flocons / des faux cons / Pékin en hiver / La misère.

- Bon, va faire des coloriages. Les haïkus, finalement, c'est pas une bonne idée pour toi.

 

 

xxx

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9 mai 2020

Zéro contact

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Pékin, le 4 Février 2020

 

De plus en plus de foyers de contagion déclarés partout dans le pays, souvent à cause des banquets familiaux tenus pendant cette période de nouvel an. Les gouvernements locaux annoncent des mesures de plus en plus strictes contre la propagation du virus. Les villes ferment non seulement leurs frontières avec l'extérieur, mais vont jusqu'à imposer un confinement strict aux habitants. Désormais, pour la plupart d'entre nous, il faut se munir d'un laisser-passer et être soumis à un contrôle de température pour rentrer chez soi.

Pour moi qui n'ai jamais pu trouver de masques ni d'eau de javel ou d'alcool à 75 degrés depuis le début de l'histoire, rester chez soi semble la seule solution à laquelle je me suis résolu depuis mon retour à Pékin. En attendant de partir travailler à Shanghai.

Au fond d'un tiroir, j'ai trouvé des bâtonnets d'encens tibétains qui, d'après la notice sur la boîte, ont pour vertu d'assainir les espaces, en désinfectant et purifiant l'air... Tashi Delek! J'en ai aussitôt allumé un et parcouru toutes les pièces de mon appartement avec avant de le déposer sur un porte-encens. Son efficacité reste à prouver scientifiquement, mais ça ne fait jamais de mal de sentir cette odeur particulière d'herbes tibétaines et de voir la danse de sa fumée. Suis-je en train de devenir fou?

Loin de la folie d'ici, mon amie YM, auteure de la pièce que je vais bientôt monter à Shanghai, est dans un train roulant vers Berlin. Elle vient de finir une session de travail à Mannheim où elle travaillait avec une équipe de là-bas sur la colonisation allemande à Qingdao avant la Première Guerre mondiale. "As-tu des masques? Je vais t'en ramener de Berlin quand je vous rejoins à Shanghai." m'écrit-elle dans le train. Elle me dit qu'elle est impatiente de revenir "expérimenter le confinement."

Mais à la fin de la journée, YM et moi, nous finirons par apprendre, chacun de notre côté, que nos retrouvailles ne se feront pas de sitôt. Le Théâtre vient de décider de reporter la date de début de création en ses lieux.

Notre première semaine de création, prévue pour le travail à la table avec les comédiens, l'auteure et moi n'aura pas lieu dans la belle salle de répétition du théâtre, avec vue sur le quartier de l'ancienne concession française. Difficile d'entrer et sortir de l'immeuble du théâtre, avec les nouvelles mesures strictes du confinement. Nous serons invités à nous connecter en ligne, pour démarrer virtuellement les premières séances de répétitions...

Zéro contact.

 

 

xxx

8 mai 2020

Reconnaissance éternelle

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Pékin, le 3 Février 2020

 

Découverte d'un stock de nourriture constitué par mon ami MA avant mon retour à Pékin, dans un des placards de la cuisine: des pâtes, du lait, de la farine, des cookies au chocolat, des biscuits à l'orange, des raisins secs, toutes sortes de lentilles en conserves... Je me sens la personne la plus chanceuse du quartier!

"Au cas où ça empire!" me dit MA dans un message. Je lui répond en plaisantant:"C'est chiant, il n'y a rien que j'aime, ah ah ah!"

Les médias locaux rapportent que le CDC de Canton a découvert la présence du virus sur une poignet de porte. Je dilue aussitôt un bouchon de dettol dans une bouteille et vaporise la poignet de porte, le verrou... puis, finalement toute la porte. Je filme le tout en vidéo et l'envoie à MA par le wechat, au cas où il n'a pas eu cette même info dans la presse francophone. A quoi il me répond aussitôt: "Mais tu crois quoi? Ça fait deux semaines que je le fais."

Des soignants de l'armée ont pris quartier dans le tout nouvel hôpital Huoshenshan (montagne du dieu du feu) pour accueillir les premiers patients transférés des hôpitaux de Wuhan. On annonce la construction des hôpitaux de campagne dans trois arrondissements de la ville pour les patients présentant des symptômes légers. Comme les images montrées à la télé, avec la mobilisation des médecins et infirmiers des quatre coins du pays motivés à bloc qui affluent vers Wuhan et les soldats qui arrivent en renfort, le pays est en état de guerre.

La plupart d'entre nous, confinés désormais à la maison, suivent cette guerre contre le virus à la télé ou sur le téléphone, avec un sentiment de totale impuissance. Le calme qui règne dans notre environnement immédiat s'oppose aux images de chaos qu'on voit dans les hôpitaux, transmises à la télé ou rapportées par les journaux, un contraste saisissant.

Je suis en admiration sans limite devant ces hommes et femmes en blouse blanche, masques, lunettes et combinaison de protection. Certains sont des aguerris qui ont vécu le SRAS, d'autres sont tout juste sortis de leur école de médecine. Ils se trouvent tout à coup projetés sur le terrain le plus difficile qu'ils n'aient jamais connu. Pendant que le pays entier regarde ces baiyitianshi (anges aux blouses blanches) en hurlant "Courage, courage!", j'espère vraiment qu'on ne les oubliera pas, une fois l'épreuve passée.

Qu'on n'oublie pas ces images: de celle qui monte dans un car rempli de personnel soignant pour Wuhan et qui laisse son mari derrière qui pleure et crie: je t'aime, t'as intérêt à me revenir saine et sauve; de celui qui enlève son masque de protection au bout d'une journée passée dans les chambres à pression négative, avec des traces du masque sur le visage comme marquées au fer rouge et qui continue à sourire au téléphone avec sa mère à l'autre bout de la ligne; de celle qui voit sa fille venue lui rendre visite à l'hôpital et ne peut que faire semblant de l'embrasser, à 10 mètres de distance l'une de l'autre... toutes ces démonstrations d'amour qu'on n'a pas l'habitude de voir chez un peuple réputé réservé. Ils savent qu'ils sont à l'endroit qui craint le plus et que demain est incertain.

Qu'on n'oublie pas leurs conditions difficiles de travail au quotidien et leur sacrifice personnel, complètement disproportionnés par rapport à leur modeste salaire.

Qu'on n'oublie jamais ces femmes et ces hommes là. Reconnaissance éternelle.

 

xxx

7 mai 2020

Pourquoi nous?

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Pékin, le 2 Février 2020

 

Il neige!

Longtemps qu'on ne voit plus autant de flocons tomber à Pékin. Par la fenêtre, je ne vois personne dehors, ni dans la rue ni dans la cour de mon immeuble. La neige a complètement couvert le terrain de jeux des enfants. La ville est comme endormie, couverte d'un drap blanc. Un calme extraordinaire.

Les vols continuent à être annulés de plus en plus. La chance de pouvoir rentrer à Paris s'amenuise au jour le jour pour ma mère. "Heureusement, j'ai encore plein de graines de millet pour faire des soupes, un demi sachet de crevettes séchées et des raviolis au congélateur. Je ferai avec ce que j'ai, en faisant attention à bien rationner. Je survivrai sans problème jusqu'à la mi Février, et je me ferai des plaisirs culinaires une fois rentrée à Paris." me rassure-t-elle dans le wechat. Je suis fier de la voir aussi calme et optimiste devant cette situation.

YH et DX qui habitent dans l'immeuble à côté du mien, m'ont envoyé un message quand ils ont appris mon retour à Pékin:"n'hésite pas à nous envoyer un message si tu as besoin de quoi que ce soit, on te les achètera à notre prochaine sortie des courses." Je les ai remercié de cette gentille intention en leur disant de pas trop s'inquiéter pour moi :" j'ai tout ce qu'il faut dans mon placard, des graines de millets, des lentilles vertes, rouges, noires... je tiendrai bien pour encore quelques semaines, j'en suis sûr. "-

La France a organisé un premier rapatriement des expatriés vivant à Wuhan. Grand soulagement pour ceux qui se sentent perdre leur liberté de mouvement avec le confinement ici. On voit les premières images de leur quarantaine au retour en France, dans un centre de vacances à Carry-le-Rouet, tout près de Marseille: les pins, le soleil, la mer et bientôt les oursins ( la petite station balnéaire s'apprête à débuter les "oursinades" dimanche suivant). Ah! Douce France...

Seule ombre au tableau, certains habitants de Carry-le-Rouet craignent une mauvaise publicité pour leur commune qui entraînera une baisse de fréquentation de visiteurs. "Pourquoi nous?" s'interrogent-ils, mécontents de devoir accueillir malgré eux ces rapatriés de Wuhan.

Ils ne sont pas les seuls à vouloir poser cette question aujourd'hui, et très certainement, dans les jours à venir: "Pourquoi nous?"

 

 

xxx

4 mai 2020

Il faut continuer

Pékin, le 1er Février 2020

 

Il y a eu une explosion hier soir dans un appartement à Wuhan. Le mari désinfectait entièrement l'appartement en vaporisant de l'alcool à 75 degrés pendant que sa femme était en train de faire la cuisine. Depuis quelques jours, ce genre d'accidents se muliplient, l'alcool à 75 degrés étant connu pour sa propriété virucide. Evidemment, plus de stock nulle part, tout comme les masques et l'eau de javel.

Les Etat-Unis et l'Australie ont annoncé la fermeture de leurs frontières à toute personne venant de Chine ou ayant transité par la Chine.

Je pense à MY qui est en ce moment même avec sa femme en Californie, en attente de la naissance de leur premier enfant. J'espère que tout se passe plus en douceur pour eux là-bas.

Dans mon groupe chat, HB pense beaucoup à Wuhan, sa ville natale, elle regrette de ne pas être rentrée là-bas avant sa fermeture. LC est confiné à la maison depuis qu'il est rentré dans sa ville natale du Hubei, il y a au moins dix jours maintenant. TJ veut revenir à Pékin, elle pense être là dès ce week-end. HB lui répond:"Le comité du quartier fait du porte à porte pour nous recenser...  je crains que bientôt la ville ne laissera plus les gens revenir."

Toujours dans le wechat, ma productrice de Shanghai fait aussi son recensement avec toute l'équipe de production: "qui est déjà à Shanghai? qui est dans sa ville natale? qui est en vacances à l'étranger? Quelle est la date de retour prévue?" Pour tous ceux qui reviennent d'ailleurs, il y aura une quarantaine obligatoire, exigé par la direction du Théâtre, pour la sécurité de tous. Deux personnes sur dix répondent présents à Shanghai. "Vous êtes des bons camarades!" plaisante la productrice.

En message privé, on me demande d'auditionner en ligne des comédiennes de la troupe pour remplacer ZD. Pour elle qui est à Wuhan, même une quarantaine ne suffirait pas pour reprendre le travail.

Auditionner les comédiens en ligne, par vidéo conférence... En temps normal, j'aurai trouvé cela ridicule, farfelu et fou! C'est totalement contraire à ma conception du théâtre, de nos rapports au théâtre. Mais, sommes-nous encore en temps normal? En tout cas, le temps n'est pas à se plaindre, il faut résister à l'envie de renoncer, il faut continuer... J'ai encore envie de croire que nous allons réussir à faire cette création, malgré tout ce qui se passe. J'ai donné rendez-vous à 20h en ligne pour démarrer les auditions.

- "Pour être sûr, pourrais-tu venir à Shanghai une semaine avant le début des répétitions?" - me demande ma productrice, avec trois smileys d'embarras.

- Moi: "Pour faire une quarantaine?"  

- Elle: "Pour faire une quarantaine, oui"

-Moi, avec aussi trois smileys d'embarras: "J'ai l'impression de vivre en quarantaine depuis le début de l'année du Rat."

- "Toujours en quarantaine, mais avec des vues différentes, ah ah ah!"

- "Ah, ah, ah!"

Allez, on y croit, il faut continuer.

 

xxx

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2 mai 2020

Maintenant, nous aurons tout notre temps

Pékin, le 31 Janvier 2020

 

Le retour hier soir à la maison a été éprouvant: atterrissage, prise de température individuelle, puis reprise de température par écran thermique dans le long couloir avant les bagages. Je passais tous les contrôles, sans jamais relâcher ma tension. Je retrouve ma valise cassée pendant le transport, peu importe, je n'avais qu'une envie, celle d'être chez moi au plus vite.

Sur la route Airport Express, le chauffeur angoissé me regarde plusieurs fois par le rétroviseur avant de me poser la question qui devait ruminer dans sa tête depuis que je suis monté dans sa voiture: "Vous arrivez de Wenzhou? Ça va, vous n'êtes pas malade?" J'essaie de le rassurer en lui racontant tout mon parcours de combattant parsemé des points de contrôles avant de pouvoir sortir de l'aéroport de Pékin. "Alors, maintenant ne sortez plus, restez chez vous." me répond-il, presque comme un ordre.

Mon ami MA m'attend à la maison, avec mon chien. MA m'a gentillement préparé le dîner car il sait que je n'ai ni bu ni mangé pendant tout mon trajet de retour. Mais je préfère rentrer tout de suite dans ma chambre et me tenir à disance d'eux, par prudence. On ne sait jamais. Aujourd'hui, on n'est plus sûr de rien.

Mon chien me regarde avec perplexité, l'air de me demander pourquoi je me montre aussi distant:"Tu ne m'aimes plus?" Je lui crie de ma chambre:"Je ne te touche pas, c'est pour ton bien. Allez, good boy, bonne nuit!"

Ce matin, le vol de ma mère est annulé au dernier moment, soudainement, alors qu'elle était déjà presque au seuil de sa porte, avec ses valises, prête à partir. J'ai appelé la compagnie aérienne, bien sûr, eux non plus, ne sont pas en mesure de nous dire quand le vol va reprendre... bien sûr, on peut comprendre, avec tout ce qui se passe. Peut-être en est-il mieux ainsi? Le long voyage vers Paris, à ce moment-là, sera fatiguant et risqué, et qui sait ce qui l'attend à Paris? Aujourd'hui, on ne peut plus savoir ce qui adviendra le lendemain, on ne peut être sûr de rien. Je lui ai dit au téléphone de défaire sa valise, de se réinstaller confortablement à la maison. Nous ne sommes pas les plus malheureux aujourd'hui, nous devons en être reconnaissants. Nous allons rester patients. Nous n'allons pas avoir peur.

TV5 diffuse en direct un sujet coronavirus intitulé: Coronavirus, entre peur et suspicion!  Le journaliste pose la problématique: "ce qui fait peur, c'est qu'on ne le connait pas, disons-le, parce qu'on dit que c'est comme une grippe... certes, mais on ne le connait pas encore. " A quoi un de ses invités, le médecin urgentiste Patrick Pellous répond:si, si, on le connaît, c'est pour ça que nous, on n'est pas plus inquiet que ça... on ne peut pas lutter par rapport à la vague de peur que ça entraîne, je pense que les Françaises et les Français sont un peuple qui aime à avoir peur... c'est comme ça... N'ayez pas peur!" 

Pendant ce temps-là, la chaîne d'info chinoise CCTV News annonce la décision de la Russie de fermer ses frontières avec la Chine.

Ah la Russie... J'ai envie de relire tout Tchekhov maintenant. Avec cette histoire de coronavirus, il faut se pencher un peu plus vers sa bibliothèque, sinon à force de manger et dormir à la maison, on va sortir de cette crise encore plus bête... et gros.

Il faut ressortir ses livres, il faut lire, plus d'excuse. Maintenant, nous aurons tout notre temps.

 

 

xxx

28 avril 2020

Déjà-vu

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Wenzhou, le 30 Janvier 2020

 

La journée a commencé avec When did you leave Heaven de Lisa Ekdahl.

La chanson est dans un album portant le même nom. Je me souviens de l'avoir acheté à la FNAC Saint Lazare, à côté de mon lycée.

Après toutes ces années, l'album CD est encore là. Ma mère l'a mis ce matin avant de commencer le nettoyage dans la maison.

C'est devenu un rituel depuis quelques jours: le matin, à la première heure, on ouvre toutes les fenêtres pour aérer la maison et on nettoie de fond en comble.  

La ville a temporairement fermé ses sorties d'autoroutes depuis 22h hier soir. On apprend dans la foulée la suspension de la ligne S1 du métro ainsi que tous les ferries dès ce soir à minuit.

Sensation de déjà-vu.

Peut-être serait-il plus raisonnable que je rentre vite chez moi à Pékin. J'inquièterai moins la production qui pense d'ores et déjà à toutes les mesures de précaution à prendre pour démarrer en sécurité les répétitions dans une semaine à Shanghai.

Surprise, il y a très peu de vols au départ et à l'arrivée de Wenzhou et on voit en simultané des annulations de vols dont le statut passe du vert au rouge. A ce rythme, allons-nous nous réveiller demain en découvrant l'aéroport fermé? Je crains le pire... Dernièrement, certaines mesures importantes sont annoncées en pleine nuit, et nous prennent souvent au dépourvu au réveil le lendemain matin.

Ma mère m'encourage de partir le plus vite possible:"Il faut penser à ton travail dans une semaine. De toute façon, moi aussi, je pars demain." dit-elle, en commençant à préparer des tupperwares de nourritures à emmener avec moi à Pékin, "au cas où tu dois rester chez toi en confinement pour quelques jours."

J'achète un billet en ligne pour le soir et me mets à faire ma valise, qui n'est pas encore complètement défaite depuis mon arrivée.

La journée passe vite, dans la précipitation du départ. Sans que personne n'ose jamais l'avouer, on sent une inquiétude qui monte face l'évolution de l'épidémie. Une impression d'être en temps de guerre. Mais bien sûr, on essaie de paraître léger et rire de cette situation, quand le moment est venu de se dire au revoir.

Dans la voiture qui m'emmène à l'aéroport, on voit défiler une ville déserte. J'ai du mal à respirer dans mon masque.

L'aéroport ne ressemble plus à celui que j'ai connu il y a à peine six jours. Tout le personnel de l'aéroport est en combinaison de haute protection qui leur donne un air de cosmonautes. Des détecteurs de températures placés à des différents endroits empêchent des passagers ayant plus de 37 °3 de partir de la ville. Les rares passagers qui se trouvent là ce soir passent les détecteurs, dans un silence indescriptible. Même type de contrôles se répètent et continuent jusque dans l'avion où les hôtesses de l'air, essayant tant bien que mal de paraître calmes derrière leur masque, vérifient une dernière fois la température de tous les passagers avant de procéder à la fermeture des portes.

Après un temps de roulage qui paraît éternel, l'avion décolle enfin. Je finis de remplir le formulaire de déclaration de santé exigé pour rentrer à Pékin, range mon stylo et respire enfin un grand coup, dans mon masque. Mes lunettes se remplissent aussitôt de buée.

L'avion quitte Wenzhou, vole au dessus de la mer. A travers le hublot, j'arrive encore à distinguer le contour de la ville. Une ville qui paraît endormie. Je la quitte le coeur serré. Quel sort l'attend demain? Et quel sort m'attend en arrivant à Pékin?

Je prie, en silence.

L'avion pivote puis se met droit en direction du Nord. D'ici à Pékin, presqu'une ligne droite. Dans trois heures je serai chez moi, si tout va bien.

Après une petite turbulence, on arrive en mode croisière. Calme à nouveau. Tout est silence. La lune apparait au bout de l'aile de l'avion.

 

When did you leave heaven angel

Angel when did you leave heaven

Angel of mine

 

 

xxx

24 avril 2020

Tout ira bien

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Wenzhou, le 29 Janvier 2020

 

- "Tu es là?"

- "Oui."

- "Une bonne et une mauvaise nouvelle, je commence par laquelle?"

-"En ce moment, je préfère commencer par la bonne..."

- "Le théâtre maintient la programmation du spectacle. Les répétitions commenceront à la date prévue."

-"Super!"

- "Et nous sommes dans l'obligation de remplacer ZD. "

- "..."

- "Voici les dossiers des autres comédiennes de la troupe avec leurs vidéos de spectacles."

-"Bon..."

-"Et... naturellement, on remplace aussi le cygne noir."

-"Mmm... cela fait deux mauvaises nouvelles."

-"Oui, c'est vrai... et sinon... où es-tu en ce moment?"

-"Je suis à Wenzhou."

-"Ah bon...et ça va?"

-"Oui, ça va."

-"Bon... sois prudent!"

-"Bien sûr, toi aussi, sois prudente!"

Puis, dans la journée, même inquiétude venant de PF, un ami à Pékin, lui aussi producteur:

- "Es-tu à Wenzhou? "

- "Oui, pourquoi?"

- "Juste pour savoir si tout va bien pour toi. Je viens de voir que Wenzhou passe en 5e position parmi les villes les plus touchées par le coronavirus."

-" Tout va bien. Je reste à la maison."

-"Bien. Alors sois prudent. Reste chez toi."

-" Bien sûr, ne t'inquiète pas, tout va bien."

De toute évidence, la ville où je suis actuellement rend particulièrement les gens nerveux... Pourtant lorsqu'on regarde sur une carte, elle est située à plus de 800km de Wuhan, et les deux provinces voisines: Jiangxi et Anhui, se rejoignant en forme d'un papillon, nous séparent de la région du Hubei. Comment est-elle devenue la ville la plus à risque en dehors de la province du Hubei?

Située sur le littoral, Wenzhou a toujours été témoin des allers et venues des quatre coins du pays. Elle accueille des gens venant d'ailleurs, attirés par le dynamisme et la prospérité de la ville, et voit ses enfants partir, à la recherche d'une vie encore meilleure, en Chine comme à l'étranger: Shanghai, Pékin, Tokyo, Milan, Amsterdam, Paris, Madrid, New York... partout où je vais, j'entends toujours ce dialecte si particulier, compréhensible uniquement par des gens de Wenzhou. Je me souviens encore d'une journée passée dans China Town à New York l'été dernier, où j'ai acheté deux magnets dans une boutique souvenirs tenue par une vieille dame chinoise. Celle-ci parlait au téléphone avec son fils avec le dialecte si familier que j'ai reconnu aussitôt.

Wenzhou est donc une ville de migrations. D'après les journaux locaux aujourd'hui, on recense 18 millions de gens de Wenzhou à Wuhan et 33 millions de gens de Wuhan à Wenzhou.

On devine le défi que la ville attend ces prochains jours.

Un autre message arrive, cette fois-ci de mon amie YH: "Comment ça se passe pour toi? Tout va bien?"

C'est le troisième message de la journée qui demande de mes nouvelles... Je commence à me demander si tout compte fait, nous allons vraiment bien.

Heureusement, ma mère a prévu depuis longtemps de rentrer à Paris quelques jours après le réveillon, à la fin Janvier. Par rapport à la tension qui monte ici, elle sera sans doute plus tranquille chez elle à Paris. Quant à moi, je verrai après son départ ce que je vais faire. Il ne reste donc plus que deux jours à tenir ici.

Je sors mon tapis yoga de ma valise, pour la première fois depuis mon arrivée. Pas de panique. On respire, on se calme et tout ira bien.

 

 

xxx

23 avril 2020

Le cygne noir

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Wenzhou, le 28 Janvier 2020

 

"Je suis un peu inquiète par rapport à ce qui se passe..." me dit la productrice de Shanghai sur wechat, "ZD (l'une des comédiennes de la nouvelle création) est originaire de Wuhan... Elle est rentrée là-bas pour le nouvel an...je m'inquiète par rapport à son retour après... pour la sécurité de tous.... je pense qu'il faudra qu'elle fasse une quarantaine... Et puis, ce cygne noir que tu voulais pour le spectacle...." finit-elle sa phrase avec des points de suspension et trois smileys de confusion...

Le cygne noir!

A ma dernière réunion avec le scénographe et la productrice à Shanghai, j'évoquais effectivement la possibilité de faire entrer un cygne noir au milieu du spectacle, pendant l'arrivée du personnage de ZD qui s'incruste dans la maison. Je voulais avoir un moment imprévisible, comme un accident de parcours. La présence mystérieuse et soudaine du cygne noir m'apportera une ponctuation parfaite pour ce moment du spectacle.

Alors, aujourd'hui, à peine neuf jours après, reparler de ce cygne noir, penser à cette théorie des événements rares et peu probables... Quelle ironie de l'histoire!

Je sens qu'avec tout ce qui se passe en ce moment, ce sera difficile pour moi de continuer à défendre la présence du cygne noir sur scène. Mais accepter de remplacer ZD parce qu'elle est retournée dans sa ville natale pour le nouvel an? Vraiment, faut-il qu'on en arrive là?

"Ecoute, ce sont des questions que tu soulèves auxquelles on devrait effectivement réfléchir", réponds-je à la productrice, "mais laissons-nous quelques jours encore, pour avoir une plus grande visibilité sur ce qui se passe. Pour le moment, il y a trop d'incertitudes pour que nous puissions prendre une décision réfléchie."

"Oui, bien sûr. Mais essayons de trouver plusieurs solutions possibles, dès maintenant, afin que nous ne soyions pas pris au dépourvu. Il faut que nous nous tenions prêts." dit ma productrice, "Nous sommes face à un événement extérieur irrésistible et imprévisible, un cas de force majeure!"

Un cas de force majeure...

Pour ce début de l'an 2020, arrive bien malgré nous et sans crier gare notre cygne noir.

Dans mon groupe chat, TJ écrit:"Avant hier, je me réveillais et il me restait cinq jours de vacances; Hier, je me réveillais et il me restait sept jours; Aujourd'hui, je me réveille et il m'en reste quatorze. Il ne faut plus dormir ou sinon je serai à la retraite bientôt."

 

 

xxx

22 avril 2020

Je veux sortir!

IMG_7322 Wenzhou, le 27 Janvier 2020

 

Encore une journée avec des mauvaises nouvelles qui arrivent de toutes parts, à la télé comme dans nos téléphones. Dans le groupe chat, on parle d'un prolongement des vacances du nouvel an. LZ dit que les entreprises ont reçu comme ordre de ne pas reprendre les activités avant le 8 Février, même chose pour les écoles et les universités. LC qui est lui-même professeur dans une université à Pékin confirme: Oui, on pense à prolonger les vacances, très sérieusement cette fois-ci.

Mais que faire pendant ces vacances qui prennent un air de quarantaine? Toujours dans le groupe, certains disent qu'ils peuvent passer tout le temps à jouer aux cartes ou au mahjong en famille, d'autres préfèrent regarder les séries télévisées ou des films, on commence déjà à s'échanger nos listes de films et séries favoris. Seul principe:  rester à la maison.

En temps normal, les vacances du nouvel an constituent une période propice où beaucoup de nos concitoyens choisissent de faire du tourisme à l'intérieur du pays ou à l'étrager. Mais très probablement, cette année, notre itinéraire voyage se résumera à un circuit domestique Salon - Cuisine - Chambre à coucher - Salle de bain.

On devrait commencer à parler partout dans le monde de ce qui se passe ici. Je reçois dans la journée un premier message à ce sujet venant de PR en France: "Alors ce coronavirus? Tout va bien?"

Bon, quoi qu'il arrive, il ne faut pas céder à la panique. Je partage dans mon groupe une courte vidéo pour détendre l'ambiance: à leur enfant qui ne s'arrête pas de pleurer, les parents inquiets demandent "As-tu faim?", l'enfant répond tout en continuant de pleurer: "pas faim", "Soif?", "Non plus!" "Alors pourquoi pleures-tu, si tu n'as ni faim ni soif?" , "Je veux sortir, je veux sortir!" crie l'enfant avec un air de chien battu.

Ce cri désespéré, il est possible qu'il soit partagé par la plupart d'entre nous aujourd'hui dans le pays.

 

xxx

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